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Le cinéaste mexicain d’origine espagnole Luis Buñuel (1900 – 1983) a marqué de son empreinte la culture du XXème siècle. Après avoir fait les quatre cents coups en compagnie de Federico Garcia Lorca et Salvador Dalí, il rejoint avec ce dernier le groupe surréaliste d’André Breton à Paris. Il frappe un grand coup en 1929 en réalisant le scandaleux court-métrage Un chien andalou, écrit à quatre mains avec Dalí. Si ce premier fait d’arme se présente comme un geste cinématographique surréaliste – il réitère l’année suivante avec L’Age d’or qui rencontrera la même incompréhension -, il ne se départira jamais du surréalisme et d’un certain goût pour la provocation, donnant ainsi une tonalité singulière à l’ensemble de sa filmographie.


Ayant pris ses distances avec Breton, infréquentable en Espagne pour son rejet ferme du régime franquiste – à l’inverse de Dalí, ce qui met franchement un frein à leur amitié –, Buñuel s’exile d’abord aux Etats-Unis où son anticléricalisme et sa sympathie pour le marxisme ne seront pas mieux tolérés. C’est au Mexique qu’il trouve finalement refuge, une sorte d’eldorado créatif pour lui puisqu’il y réalise plusieurs de ses meilleurs films comme El (Tourments 1953), La Vie criminelle d’Archibald de la Cruz (1955) ou L’ange exterminateur (1962), sa dernière réalisation outre-Atlantique. Il connaît ensuite un véritable retour en grâce dans l’Hexagone, et ce jusqu’à son dernier film. Il clôt alors symboliquement la boucle entamée par Un chien andalou.


Mais s’il obtient cette fois une large reconnaissance critique, il propose toujours un cinéma exigent et franchement sulfureux comme en témoignent entre autres Belle de jour (1967), La Voie lactée (1969), Tristana (1970) ou Cet obscur objet du désir (1977), son ultime film. L’ensemble de l’œuvre de Buñuel, bien que très internationale, revêt une certaine unité liée à sa recherche continuelle d’indépendance et son implication dans l’écriture des scénarios. La familiarité de son cinéma avec le théâtre est saillante, un groupe d’acteurs – Antonio Bravo, Michel Piccoli, Muni, Julien Bertheau, Ellen Bahl, Pierre Maguelon, Fernando Rey et tant d’autres – revenant d’ailleurs dans plusieurs de ses films, parfois dans un rôle identique ou presque, comme une troupe attachée à son théâtre. Le soin apporté à la mise en scène et la qualité de l’image subliment néanmoins ce qui ne pourrait être que des pièces filmées. Surtout Buñuel fixe sur pellicule ses obsessions : la critique du christianisme et de la bourgeoisie, le lien immuable entre Eros et Thanatos ou l’omniprésence du rêve. Des thématiques qui peuvent désarçonner, tout comme son humour froid et cette spontanéité héritée du surréalisme propres à stimuler en permanence la curiosité du spectateur.


Après tout, n’est-ce pas pour les émotions qu’il nous procure que nous aimons le cinéma ; celui de Buñuel a cette capacité immanente aux œuvres intemporelles à ne jamais cesser d’en soulever et de traverser ainsi les décennies en renouvelant continuellement le noyau de ses amateurs.


Pierre